Bonjour,
Tout d’abord une petite biographie de Pierre Pevel (article de Wikipedia, un peu plus complète que la bio disponible sur le site de Bragelonne) :
« Pierre Pevel est né en 1968. Il est d'abord scénariste et auteur de jeux de rôle, et ne vient qu'ensuite à l'écriture. Il écrit plusieurs romans de fantasy sous le pseudonyme de Pierre Jacq, puis signe ses livres suivants de son vrai nom. Il se fait connaître par sa trilogie des Ombres de Wieldstadt, publiée en 2001, qui lui vaut en 2002 un Grand Prix de l'Imaginaire. Pierre Pevel vit actuellement à Nancy. »
Je tiens quand même à rajouter un autre travail de Pierre Pevel. Outre sa langue maternelle il maîtrise également très bien la langue anglaise, et il est le traducteur des James Bond de Ian Fleming dans leurs rééditions chez Bragelonne (la maison a prévu la réédition de tous les James Bond...).
Ensuite un petit récapitulatif des livres qu’il a écrits :Viktoria 91• Viktoria 91, 2002
Cycle de Wieldstadt• Les Ombres de Wieldstadt, 2001 (Grand Prix de l'Imaginaire 2002, catégorie Roman)
• Les Masques de Wieldstadt, 2002
• Le Chevalier de Wieldstadt, 2004
Ambremer• Les Enchantements d'Ambremer, 2004
• L'Elixir d'oubli, 2004 (Prix Imaginales 2005, catégorie Roman francophone)
Les Lames du Cardinal• Les Lames du Cardinal, 2007(Prix Imaginales des Lycéens 2009)
• L'Alchimiste des ombres, 2009
Ceci étant dit, je vais parler de l’ensemble de son œuvre (L’Élixir d’oubli et Viktoria 91 exceptés, je ne les ai pas lus) car de nombreux points communs apparaissent dans ses romans. A travers les critères du comité de lecture je vais parler de l’ensemble de ses textes, je vais essayer de faire ressortir ce qui m’a marqué dans les livres avec des détails qui j’espère vous donneront envie de lire ces bouquins.
Un mini-résumé de chacun des livres :Cycle de WieldstadtXVIIème siècle, époque de la guerre de trente ans en Allemagne, conflit au départ religieux. Après s'être acquitté d'une délicate mission pour l'ordre des Templiers, le Chevalier Kantz revient à Wielstadt, une cité allemande protégée depuis toujours par un mystérieux dragon. Sorte d’exorciste, on va suivre ce chevalier dans sa lutte contre des goules qui répandent la terreur dans la ville (dans le premier tome). Fée, faunes, magie cabalistique, cour des miracles et sociétés secrètes sont autant d’éléments avec lesquels devra jouer le héros. Dans les tomes suivants les ennemis sont plus nombreux, plus sombres et pousseront le chevalier dans ses retranchements, jusqu’à ce qu’on découvre nombre de secrets qui les entourent, lui et la ville de Wielstadt.
AmbremerAutre époque, autre ambiance : le Paris des années 1900 avec ses cercles de gentlemen… magiciens. Mais ce n’est pas tout à fait le Paris qu’on connait, la tour Eiffel est en bois blanc, des créatures magiques arpentent les rues, une ligne de métro permet de se rendre à l’OutreMonde, le pays des fées, et à Ambremer, sa capitale. Le héros est un gentleman-magicien qui répond au nom de Louis Denizart Hippolyte Griffont et qui va être entraîné dans une sorte d’enquête policière bien plus trouble qu’il n’y parait.
Les Lames du CardinalTroisième époque : le Paris du XVIIème chéri par Alexandre Dumas, avec ses mousquetaires, le cardinal Richelieu, les venelles et ruelles sombres de la capitale, mais aussi des dragonnets, la sorcellerie, et des dragons se dissimulant parmi les humains qui ont déjà pris possession de la Cour d’Espagne. Pour faire face à tous ces dangers Richelieu, qui est celui qui gouverne vraiment la France, décide de refaire appel en secret à un groupe qu’il commandait jadis, Les lames.
Et maintenant l’analyse à proprement dite :L'immersion au début du récit.Immédiate. Il y a toujours au début ce ou ces petits passages qui situent l’époque, l’ambiance. Je reviendrai plus tard sur l’époque et les décors justement. Et puis un ou plusieurs personnages principaux arrivent très vite et amènent avec eux les bases de l’intrigue. On ne distingue pas encore tout à fait, dans quelque livre que ce soit, ce qu’elle va être, mais on la devine intéressante, adaptée à l’univers qu’on prend déjà énormément de plaisir à découvrir.
La tournure des phrases.Les phrases sont écrites dans un bon voire très bon français, bien construites et agréables à lire.
Le style.Il est utilisé à merveille pour servir les descriptions, l’action, les dialogues, chaque étape du récit. Il colle parfaitement à chacune des époques développées. Le style de Pevel est vraiment très agréable à lire. Il pourrait parfois paraître ampoulé mais il n’en est rien : c’est pour mieux coller à la Cour du roi de France dans les Lames du cardinal ou aux clubs de gentlemen d’Ambremer.
L'orthographe et la construction grammaticale.Aucune erreur, construction impeccable.
Comportement (des gens, des choses) rationnel à défaut d'être logique.Les personnages se comportent selon leur nature. Les personnages humains ont des réactions tout à fait logiques, réfléchies ou impulsives, parfois un peu classiques mais toujours rationnelles. Les personnages non-humains ont des réactions qui correspondent à leur propre logique mais elles sont toujours compréhensibles. Certains personnages (la dame en rouge dans Wielstadt par exemple) sont hors de toute logique pour qu’on comprenne vraiment pourquoi ils interviennent, mais c’est cela qui les définit et qui fait leur caractère un peu légendaire.
Le dépaysement et l'atmosphère.A coup sûr le point le plus réussi de tous ses livres. Quand vous êtes à Wielstadt vous trouvez tout autour de vous un peu plus sombre, les nuages sont moins blancs, les ombres plus grandes, vous vous méfiez de chaque recoin, vous vous attendez à voir surgir quelque chose, à défaut d’apercevoir le dragon dans le ciel. A Ambremer ou à Paris de cette époque vous avez plaisir à replonger dans une époque qui n’est pas si lointaine mais qui est totalement différente. Même si vous n’avez aucune connaissance de l’époque vous ne pouvez vous empêcher de voir l’exposition universelle de 1900, les habits et les fastes des réceptions, l’atmosphère des cercles, les intrigues déjouées par les Brigades du Tigre, etc. Dans Les lames du cardinal on retrouve l’univers de Dumas, relevé de quelques éléments fantastiques. Vous pouvez suivre le cheminement de tous les héros dans la France et dans Paris grâce à une documentation exceptionnelle, notamment le nom des rues, les édifices, les petits détails de la ville qui ont été reproduits à la perfection, comme un décor de cinéma parfaitement réaliste.
Suspens et intérêt.Ces deux aspects ne faiblissent jamais. Il y a toujours quelque chose de plus à découvrir dans l’histoire, l’intrigue, l’atmosphère, les personnages,…
Phrases tarabiscotées et vocabulaire compliqué.Pas de phrase tarabiscotée, le vocabulaire compliqué est uniquement le vocabulaire spécifique à une époque, un lieu, mais il est toujours facile à cerner dans le contexte. Il y a même dans Wielstadt (si je me souviens bien) une note de bas de page qui explique tout le fonctionnement d’une arme à feu pour expliquer un ou deux termes utilisés dans le texte, mais c’est la seule fois où ça arrive.
Vraisemblance et crédibilité de l'histoire.Des intrigues bien construites au scénario loin d’être linéaire et également peu prévisible. L’auteur distille les indices au fur et à mesure. Même quand il se focalise sur des personnages « secrets » il en dit juste assez pour maintenir l’intérêt, et pas trop pour ne pas gâcher le plaisir.
Scènes juste décoratives (remplissage).Pas dont je me souvienne.
Soutien du fond par la forme (travail et recherches sur les mots).Il me semble l’avoir déjà mentionné : le style et le vocabulaire sont parfaitement adaptés à l’époque et l’ambiance de chacun des livres. Plus, ils sont adaptés à chaque personnage, à chaque groupe ; à chaque situation.
Personnages attachants.Un autre point fort de Pevel : des personnages très attachants, mystérieux, déchirés parfois, jamais tout blanc ou tout noir. Leur héroïsme parfois n’en reste pas moins crédible. Ce sont de vrais personnages !
Adversités servant une logique (découvrir le monde, initier le héros).Les ennemis sont de natures différentes. Dans les Lames, ce sont à la fois les ennemis naturels de la France (complots extérieurs et intérieurs) et les ennemis fantastiques (dragons cachés parmi les humains) mais dans cette dimension politique. Ils servent une logique : celle de l’histoire, ils sont une part de l’histoire et non pas seulement un prétexte pour initier ou faire évoluer les héros. C’est peut-être un peu moins vrai dans Wielstadt si on considère les goules dans le premier tome par exemple. Mais dans les tomes suivants des ennemis moins visibles et plus humains apparaissent, et eux aussi font partie intégrante de l’histoire.
Alternance des formes : actions et dialogues.Maîtrisée, les dialogues sont le juste reflet de la personnalité des personnages.
Coups de théâtre.Des rebondissements réguliers font qu’on ne s’ennuie jamais.
Volonté de transmettre du savoir (civilisation, réflexion, historique, etc..).A l’évidence une volonté de montrer une passion pour le XVIIème siècle (avec les Lames et Wielstadt), un peu moins présente dans Ambremer mais c’est aussi la série dans laquelle il a peut-être pris plus de libertés avec l’époque, la connaissant moins (malgré une documentation certaine).
Volonté d'être compris par tous et sans choquer inutilement.Pas de violence gratuite. L’univers de Wielstadt est plus noir, celui des Lames conforme à l’univers de Dumas ou aux films de cape et d’épée. Pour Ambremer je me souviens d’une ou deux scènes où c’était un peu moins maîtrisé, une bataille avec des gargouilles où la violence était un peu trop présente, mais sans choquer.
Évolution de la psyché des personnages au fur et à mesure de l'histoire.Je ne sais pas si on peut dire si les personnages évoluent. En tout cas pas du tout au tout. Leur personnalité est telle qu’elle est, mais de subtils changements interviennent, c’est certain !
Identification du lecteur avec le ou les héros.Dans Ambremer ou Wielstadt les personnages principaux prennent beaucoup de place. Dans les Lames la compagnie a suffisamment de personnages avec des personnalités différentes pour que chacun y trouve son compte.
À 1/3 du récit votre envie de continuer la lecture.Quel que soit la série ou le tome, l’envie est bien présente !
Au 2/3 du récit votre envie de poursuivre votre lecture.Même remarque, encore plus puisqu’on en connait plus sur l’ambiance et les personnages, et l’intrigue aussi.
L'originalité des idées.Des époques de l’histoire très bien documentées, des références à d’autres livres ou œuvres elles aussi réalistes, dans lesquelles surgissent des éléments fantastiques inattendus : voilà l’originalité.
L'intrigue et le scénario sont-ils un prétexte ?Non pour les Lames, ils se fondent dans l’époque. C’est peut-être moins vrai pour Wielstadt.
La fin du récit se termine-t-elle : en coup de théâtre (surprenante) en une grande explication cachée ? Ou bien en apothéose ?Je ne dirai pas que c’est un coup de théâtre. On en apprend beaucoup d’un seul coup, mais c’est plutôt une apothéose, que ce soit avec une grande scène comme dans le premier tome des Lames ou quelque chose de plus « intimiste » comme dans Wielstadt (mais l’univers et le héros s’y prêtent plus).
Toutes les problématiques du livre, sont-elles à la fin de celui-ci résolues ? C'est-à-dire que toutes les portes ouvertes sont refermées.Pour Wielstadt je crois que c’est le cas à la fin de chaque tome, mais à la fin de la série il y a quelques questions sur lesquelles le lecteur se doit de s’interroger et de trouver les réponses lui-même, ou de laisser la porte ouverte à son imagination. Pour les Lames les deux premiers tomes laissent la porte ouverte à la suite. L’auteur a déjà prévu deux fois trois tomes si je me souviens bien, et peut-être plus.
Voilà pour cette analyse,
voici maintenant quelques paroles de Pierre Pevel recueillies sur un autre forum (pour tout lire c’est par ici : http://www.fantasy.fr/forum/viewtopic.php?f=39&t=2514) :
- Citation :
- Je crois en effet que plus l'aspect historique est solide, documenté, plus les éléments de fantasy prennent du relief, et moins il est besoin d'en mettre. Je crois aussi que les éléments de fantasy gagnent en authenticité, en crédibilité. Je les traite d'ailleurs avec le même sérieux et le même aplomb que les éléments historiques. Pour moi, ils ont le même degré de réalité.
- Citation :
- Et puis, d'une manière plus générale, à quoi bon mettre en scène une époque historique si c'est pour mal faire le boulot ? Autant tout inventer. Ou s'inspirer de l'Histoire mais sans le dire. Lorsqu'on inscrit un bouquin de fantasy dans une période historique précise, il faut que cette démarche ait un sens. C'est-à-dire qu'il faut que l'Histoire "l'emporte" sur la Fantasy.(…) Si la proportion est inversée, on a alors de la fantasy plus ou moins inspirée de l'Histoire. Pour moi, c'est très différent. Pas mieux ni moins bien, juste différent.
- Citation :
- Ma doc sur le XVIIe est de très, très loin plus importante, et je n'ai pas fini d'en accumuler. Mais ma passion pour cette époque a commencé avant que j'imagine les Lames, avant même que je ne développe Wielstadt. Avant même que j'écrive, en fait. Et elle serait égale et intacte, même si je n'écrivais pas. C'est un siècle que j'adore et que je prends vraiment plaisir à mettre scène, à faire revivre. Cela fait plus de vingt ans maintenant, soit depuis que j'ai lu les Trois Mousquetaires, que cette époque m'intéresse. Je n'ai jamais songé à compter les bouquins qui la concernent, mais ils occupent tout un pan de ma bibliothèque. Et je continue donc à en acheter, à les lire, à faire des fiches, à constituer des dossiers, etc. Je n'en aurai jamais fini !
- Citation :
- Je sais seulement que je consacre du temps et du soin à mes personnages. Malgré leur dimension héroïque, je les veux crédibles. C'est-à-dire avec des vertus et des défauts, des préférences, des centre d'intérêts, des habitudes. Une certaine profondeur psychologique, donc. Je sais également que je préfère les montrer qu'expliquer. C'est la règle du "show, don't tell". Donc, si un personnage est égoïste, plutôt que d'en parler sur une page, je le montre en situation d'être égoïste. Ainsi (je crois), le lecteur découvre l'égoïsme du personnage. Il se fait sa propre opinion.
Rares sont les personnages qui se présentent tout prêts, armés et bottés. La plupart demandent du temps et de la réflexion, et ils peuvent continuer à se construire au fil de l'écriture.
Bien sûr, je travaille plus les personnages principaux que les autres. Mais je crois que la crédibilité du contexte dépend (entre autre) de la crédibilité des seconds rôles. Mieux vaut donc les soigner, sans leur donner plus d'importance qu'ils n'en méritent.
Et pour finir, le premier tome des Lames du cardinal va être publié en Angleterre et aux Etats-Unis, un grand succès pour un auteur français ! Plus d’informations aux adresses suivantes :
http://bragelonne-le-blog.fantasyblog.fr/post/2/3708
http://www.fantasy.fr/articles/view/11669/pierre-pevel-publie-en-amerique?reload=true
Et voilà, j’espère que tout ceci vous aura donné envie d’aller lire ses livres. Sinon, je vais vous dire ce qui me les a fait adorer. D’abord il y a les époques, les ambiances, réalistes et documentées, intégrées à l’histoire. Ensuite il y a les personnages, excellents à tous points de vue. Les intrigues sont également très bien ficelées. Au final : tous les éléments sont assortis, chacun sert l’autre, aucun n’est laissé de côté. Ils forment un tout harmonieux.
L’auteur conseille de commencer par les Lames si vous n’avez jamais rien lu de lui. Mais n’hésitez pas non plus à vous jeter sur Wielstadt, même si l’ambiance plus sombre vous rebute un peu. Il y a dans cette trilogie énormément de choses, d’intrigues a priori secondaires, de personnages secondaires vraiment très bons, et un héros qu'on ne peut pas lâcher une seconde. Ambremer (le premier tome en tout cas) est également très bon, avec un humour bien présent, notamment à travers les relations entre les personnages. Si j’avais le choix je commencerais presque par celui-là afin de goûter à un univers plus léger et plus fantastique et se familiariser ainsi avec le style de Pierre Pevel.
En espérant que vous soyez arrivés jusqu’au bout de ce post (désolé d’avoir fait long mais je me suis pris au jeu) et de vous avoir donné envie de découvrir cet auteur.