Bonjour à tous !
Dernière salve de questions, pour mon dernier roman cette fois, sorti tout récemment.
Merci beaucoup à Olivier pour ses questions qui, à chaque fois, ont su être différentes et intéressantes. J'espère que mes réponses le seront tout autant !
Comme d'habitude, n'hésitez pas à réagir
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David
Tout livre, même si l'on n’aime pas les classements, appartient à un genre. Quel est celui du vôtre et pour quelles raisons l’avez-vous choisi ?Je dis souvent que 2087 est un polar d’anticipation. Polar d’abord, car il s’agit d’une enquête, menée par un détective. D’anticipation ensuite, car le roman se passe à Paris, en 2087.
Je n’ai pas réellement choisi le genre, en fait. Il s’est plutôt imposé à moi. Je voulais, dans ce livre, raconter l’histoire d’un détective torturé et à la recherche de « quelque chose ». J’avais donc une base de polar. Ancrer le roman dans le futur s’est fait dans un second temps. Cela m’est venu de l’une des scènes de fin, que j’avais déjà à l’esprit. A cause d’elle, l’histoire devait forcément se dérouler dans le futur.
Chaque genre possède des conventions correspondant aux attentes de ce public. Quelles sont celles que vous avez eu plaisir à réaliser ? Les clichés du genre, que vous avez su éviter ? Et au contraire pensez-vous en avoir renouvelé quelques-unes ?La première et la troisième partie de la question sont, en ce qui concerne 2087, complètement liées. L’image du détective solitaire, qui souffre à cause de quelque chose que le lecteur ne connait pas, a été à la base de l’envie d’écrire le roman. Il s’agit d’un cliché de chez cliché, j’en ai bien conscience. Mais j’avais envie de raconter une histoire basée là-dessus. J’ai donc utilisé ce cliché, presque tel quel.
Ancrer l’histoire dans le futur a permis de m’éloigner un peu du poncif. J’ai également rendu le détective bisexuel. Cela le différenciait du tombeur de belles blondes trop maquillées, mais cette sexualité a également un vrai sens. Elle appartient pleinement au personnage, et dit beaucoup de lui. Enfin, dernière tentative d’éloignement par rapport à l’image traditionnel du détective, j’ai voulu un héros qui n’en soit pas. Et j’ai également refusé d’en faire un anti-héro (autre poncif du genre). J’aime énormément Gabriel, le personnage principal de cette histoire. Il méritait mieux qu’un simple cliché. J’espère (et je crois) avoir réussi à ne pas l’y enfermer. Ou, au moins, pas complètement
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En une phrase quel est le concept de l’histoire ? Quelle stratégie globale a déterminé votre façon d’écrire ?Il s’agit d’une enquête qui, au fil de sa résolution par le héros, va l’amener à comprendre certains éléments cruciaux de son passé.
Mon idée était à la base de lier l’enquête, l’intrigue et le héros, et de dénouer le tout à la fin. D’apporter les pièces du puzzle, de donner les éléments au fur et à mesure, puis de montrer comment tout s’emboite, à la fin, en une logique implacable. Il a fallu donc apporter l’ensemble des éléments au lecteur, sans pour autant lui donner le fin mot de l’histoire trop tôt. Ca a été l’une des difficultés dans 2087. En donner suffisamment pour que le lecteur trouve la fin logique, qu’il ait quelques pistes, sans pour autant lui donner la clef. Sinon, il n’y aurait pas de surprise. Elle est pourtant de taille. Et violente.
Quelle est la prémisse de votre histoire, soit votre histoire formulée en une seule phrase ?Je dis, et j’écris souvent, qu’il s’agit d’une histoire d’amour et d’humain, dans le monde fou et glacé de 2087. Ces quelques mots, à eux seuls, résument je crois tout ce que j’ai voulu mettre dans ce roman.
Parlez-nous de votre (vos) héros. Dites-nous quels sont les faiblesses psychologiques et les besoins moraux, que vous lui avez attribués.Des faiblesses, Gabriel (le héros principal) en a plein ! Il est hanté par des cauchemars qui le réveillent la nuit, hurlant et couvert de sueur. Il essaie de les fuir à tout prix, et se gave de drogues pour cela … en vain. Et, étrangement, lorsqu’on lui propose de l’en débarrasser, Gabriel refuse. Il y a une raison à cela, bien sûr, mais je n’en dirai pas plus
. L’autre grande faiblesse du héros de 2087 est son besoin des autres. Gabriel est quelqu’un de brisé. Il ne tiendrait pas sans amour, sans la chaleur que lui apportent ses amis, celles et ceux qu’il a aimé, et qu’il aime certainement toujours d’ailleurs.
En contrepartie de cela, il est extrêmement fidèle et attentionné. Il est prêt à se sacrifier, à sacrifier son bonheur, pour ceux qui ont un jour été là pour lui. Il a un petit côté martyr, en fait.
Quel est le problème que votre (vos) héros rencontre au début de l’histoire, ou de quelle nature est la crise qu’il (ils) traverse ?Gabriel est un peu paumé. Il vit dans un monde devenu inhumain, qu’il supporte difficilement, et qu‘il tente de le changer à sa manière. Il essaie de donner aux autres ce qui ne lui a pas été donné à lui. Il essaie de résoudre ce qui n’a pas été résolu pour lui. Quand le détective est, une nouvelle fois, appelé pour une histoire de meurtre, il s’y lance à corps perdu, même quand il réalise qu’il ne sera jamais payé. C’est l’hameçon qui lui a été lancé, et dans lequel il mord, les yeux fermés. Presque volontairement, d’ailleurs.
Quel est l’objectif, le but principal, qui pousse votre (vos) héros à entreprendre un certain nombre d’actions pour l’accomplir et qui l’amène à la fin de l’histoire ?Gabriel a beau se laisser entraîner par l’enquête, il comprend rapidement qu’il y a autre chose que cela, qu’il n’a pas du tout été appelé par hasard, qu’il y a même une raison bien précise pour cela. Et il veut la connaître. Rapidement, il comprend aussi que tout est lié à lui, à son passé. Et, pour lui, s’il y a une chance, même infime, de découvrir ce qu’il recherche depuis tant d’années, il ne lâchera rien.
Un adversaire, personnage connu sous le nom d’antagoniste, est trop souvent représenté comme incarnant le mal de par son physique et son action. Alors qu’un bon adversaire est surtout celui qui cherche à empêcher le héros d’assouvir son désir, un concurrent qui tente d’atteindre le même objectif. Quels soins particuliers avez-vous apportés dans la création de l’adversaire principal de votre héros ?De la crédibilité. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un élément essentiel à une bonne histoire. L’antagoniste doit avoir des objectifs logiques, compréhensibles et cohérents. S’il agit d’une certaine manière, c’est qu’il a une raison très précise. J’ai été particulièrement attentif à cela dans 2087. Il fallait que tous ceux qui se liguent contre le héros aient des raisons pour le faire. Et tous, je crois, en ont, qu’elles soient cachées ou révélées.
Luigi Pirandello dans six personnages en quête d’auteur dit ceci :
« Les absurdités de la vie n’ont pas besoin de paraître vraisemblables, parce qu’elles sont vraies ; à l’opposé de celles de l’art qui, pour paraître vraies, ont besoin d’être vraisemblables. »
Comment vivez-vous cette affirmation et quel écho a-t-elle eu dans votre roman ?Cela rejoint un peu le besoin de cohérence dans les motivations que doivent selon moi avoir les « ennemis » du héros. Dans une histoire inventée, il faut être attentif à ce que tout soit logique. Le hasard ne doit pas exister, ou très peu, car toujours derrière se cache la menace d’une facilité de l’auteur, d’un deus ex-machina … voire de la paresse, ou d’un manque de respect vis-à-vis du lecteur ?
Je suis donc particulièrement attentif à ce que tout ait une raison d’être. Si un objet se trouve quelque part, alors ce n’est pas par hasard. Si le héros croise quelqu’un d’important dans l’intrigue, il doit y avoir une explication. Et, si le hasard apparaît, le héros doit en tirer profit, pas juste le cueillir. Je pense que le hasard dans un livre tue l’action, l’intelligence, le suspens. Si tout se fait tout seul, sans que le héros ait besoin de se fatiguer, alors que vaut-il ? Pas grand-chose, sans doute. Et, dans ce cas, ce qui lui est arrivé à lui pourrait arriver à l’importe qui. Or, ce n’est pas ce qu’on veut raconter, je crois.
L’un des premiers commandements dans les arts temporels est de garder le meilleur pour la fin. L’événement ultime de l’histoire est la tâche ultime de l’auteur.
Qu’en pensez-vous ? Vous-même, avez-vous travaillé particulièrement la fin de votre roman ?Je pense qu’en effet la fin est essentielle, surtout parce qu’elle correspond au moment où le lecteur lâche le livre, se sépare du support physique.
Que reste-t-il, après ce moment ? Que veut-on laisser, nous, auteurs, après ce moment ? Cela dépend de chacun, sans doute, et des types de livres qu’on écrit. Si c’est un voyage, alors il faut laisser un beau souvenir. Si c’est un message, une réflexion, alors il faut que cela reste suspendu, dans l’air, afin que le lecteur reste avec, même le livre refermé. Si c’est un coup de poing, alors il faut qu’il fasse mal, qu’il prenne aux tripes, que la dernière page soit accompagnée de larmes ou de stupéfaction.
Tous les livres que j’ai écrits, surtout après Ervalon, sont justifiés par leur fin. Dans Failles, j’ai voulu une fin douce amère, le mélange d’un constat d’échec, d’une promesse et d‘un espoir. La fin de 2087 est très différente. Mais à chaque fois, les dernières lignes m’ont guidé, et ce dès les premiers chapitres. Je sais où je veux aller. Et où je veux amener le lecteur (où j’essaie de l’amener, en tout cas). Le souci alors, et là où je suis très attentif, c’est d’être cohérent. La fin, si on fait tout pour y amener le lecteur, doit être un mélange de suite logique, évidente … et de coup de théâtre, de révélation, ou de lâcher prise. Ce n’est pas facile à faire. Et je suis convaincu qu’elle ne se travaille pas uniquement aux dernières pages.
Si vous deviez mettre en avant que quatre points forts de votre roman, quels seraient-ils ?Avant tout, les personnages je dirais. Je n’avais jamais je crois créé des personnages si humains, si complets, si … entiers. Ils ont une vie avant le roman, ils s’inscrivent dans l’histoire (qui ne les fait pas sortir du néant). Ils ont des motivations, des caractères, des qualités et des défauts. J’ai réussi, je crois, et je ne sais pas trop comment, à les rendre réalistes, cohérents (je note : un mot qui revient souvient, cohérent).Et ils sont tous, je trouve, très touchants.
Ensuite, je parlerais de l’univers. Encore le mot cohérent, désolé, mais c’est le premier qui me vient à l’esprit (comme quoi je le suis, moi aussi
). A lire les critiques au sujet du roman, j’ai construit un univers qui se tient vraiment, auquel on croit, dans lequel on peut se plonger. J’en suis très, très fier.
L’intrigue est un autre des points forts je pense. Il n’y a dans 2087 aucun deus ex machina, aucun mensonge, aucun faux-semblant. Il y a une ligne, tracée de la première à la dernière page. Et lorsque le lecteur arrive à la fin de l’histoire, les choses s’emboitent parfaitement, de manière évidente, comme si toutes les pièces du puzzle se mettaient en place. Je vais une fois de plus citer les critiques : toutes se terminent par un mélange de « il a osé » et de « c’était finalement évident ». Je prends cela comme un gros, gros compliment vis-à-vis de l’intrigue. Savoir surprendre sans surprendre, ce n’est vraiment pas évident.
Enfin, comme dernier point fort … la fin, justement. Je ne veux rien dévoiler bien sûr, mais je pense l’avoir réussie. Je l’ai en tout cas énormément travaillée, pour que l’écrit colle au plus près à l’effet que je voulais insuffler au lecteur. Je pense m’en être pas mal sorti.
Aux lecteurs, maintenant, d’en juger
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